On s'imagine tous que le temps doit être long, quand on est enfermés derrière des barreaux, mais il est impossible de comprendre à quel point. Cela faisait à peine quelques mois qu'Eric était enfermé à The Rock, sinistrement célèbre pour son taux de surveillance maximum et ses prisonniers des plus dangereux. Quelques mois. Combien lui restait-il, déjà ? Laissez-moi rire. 53 ans. 53 longues années à attendre dans sa minuscule cellule, assis sur lit, fixant un point invisible sur le mur, impassible. 53 longues années à sortir prendre l'air, s'aventurer un peu dans l'île, aller jouer au basket. Il y avait aussi des ateliers artistiques dans la prison, mais il ne pouvait se résoudre à développer une telle fibre : en art, il n'avait aucun talent. Oh, il n'était pas en reste, il avait plein de talents attachants : escroquer, voler, menacer, torturer... tuer, au sein de la mafia russe new-yorkaise, fameuse pour ses tueries sanglantes. Enfin bref, ça, c'était le bon temps. À présent, Eric s'appelait Kayden, et les gens le voyaient comme le véritable parrain de la mafia – mais heureusement, celui dont il était en fait le bras droit courait toujours au dehors. Et en attendant qu'il trouve un moyen de le faire sortir d'ici, Eric devait trouver de quoi patienter.

Et les jours de pluie comme celui-là, Eric allait à la salle de muscu. Il n'avait jamais été un fana des salles de sport en tous genres – après tout, il parvenait déjà à tuer un homme de ses propres mains, alors pourquoi se fatiguer plus ? Mais The Rock avait changé son point de vue. C'était une bonne manière de se défouler, et ici, l'aiguille sur l'horloge tournait un peu plus vite. Il en profita donc pour sortir un peu de sa cellule sordide, pour parcourir les couloirs de la prison jusqu'à la salle de musculation.

Le rituel habituel. Il alla voir l'employée de la salle pour qu'il lui prête une serviette propre. Il regarda la bonne femme qui le connaissait bien maintenant, et lui lança son austère « Bonjour. » L'employée connaissait sa froideur inébranlable, elle lui donna sa serviette sans insister plus en vains et aimables bavardages. Elle nota « Kayden M. Ashmore » sur le registre tandis que le concerné entrait dans la salle des machines. Il y avait déjà quelques prisonniers, seulement des hommes, qui faisaient travailler leurs gros bras en silence entrecoupés de râles d'efforts et des cliquetis des appareils de musculation. Quelques visages familiers, mais Eric n'était pas trop du genre commode, la sociabilité n'était pas son fort. Et tout le monde n'a pas pour rêve de faire ami-ami avec le parrain de la mafia russe, même des prisonniers. Il n'y avait que quelques rares détenus qu'il appréciait au sein de The Rock. On ne tombait pas sur eux à tous les coups. A vrai dire, il s'en fichait : ce n'était pas le but de sa visite.

Eric s'installa sur la machine à travailler les triceps, et se mit à l'effort. Son visage restait fermé, stoïque, ses yeux froids fixant un point invisible face à lui, jetant parfois un coup d'oeil à l'horloge. Après un long moment, il s'arrêta, se redressant un peu, et attrapa sa serviette pour essuyer la sueur sur son cou et sur son front. Il attrapa une bouteille d'eau et but une longue gorgée. C'est là qu'il jeta un regard au reste de la salle et il aperçut un visage ami qui se dirigeait vers lui. Il lui arrivait souvent de croiser Samaël à la salle de musculation, et même s'il était difficile de le percevoir dans ses expressions, Eric était toujours content de le voir apparaître. Il sentait quand quelqu'un avait la loyauté dans la peau, et c'était véritablement le cas de Samaël : voilà pourquoi il ne tarda pas trop à lui accorder sa confiance. Sam avait été condamné pour un triple meurtre, mais il clamait son innocence, et lui avait fini par le croire, même si à vrai dire cela ne l'aurait pas empêché de l'apprécier. Être privé à jamais de liberté pour quelque chose un crime que l'on n'a pas commis. L'univers est incroyablement injuste, parfois. Bref.

Eric accueillit le détenu avec ce qu'il pensait être un grand sourire, mais qui ressemblait plutôt à un rictus déformé. Qu'importe. Samaël avait appris à le connaître.