Cinq jours. Cela fait exactement cinq jours qu'elle a eu une vraie conversation avec Laroy. Bien que ce ne fut pas la conversation du siècle, il y a quand même eu quelques progrès puisqu'elle a été capable de dire plus de cinq mots à la suite. Et puis, elle ne se sent plus tellement en danger face à lui, elle ne ressent plus cette envie de distance constante. Elle réalise qu'il n'a réellement rien à voir avec le type qui a abusé d'elle il y quelques années. Bien évidemment, il lui faudra encore du temps avant d'être parfaitement à l'aise avec lui, ce n'est pas une situation qui s'arrange en seulement quelques jours, mais c'est déjà un grand pas en avant. Il faudrait simplement qu'elle ne fasse pas deux pas en arrière, ce qui réduirait en poussière ce qu'ils commencent à construire. Mais avec Eliaëlle, on ne peut jamais être sûr de rien. Parfois, même si elle se sent confiance, elle a quand même peur. Peur que cette confiance soit écrasée un jour. Mais depuis cette fameuse journée qui s'est achevée par une bagarre, elle n'a pas revu le jeune homme. Elle sait qu'il fut mit dans les cachots, mais elle ne sait pas combien de temps. A vrai dire, elle ne se rend plus tellement dans la cour pour le moment, préférant la solitude de sa petite cellule où elle se sent mieux qu'à l'extérieur.

Seulement, elle a encore quelque chose qui appartient à Laroy, son ballon. Lors de cette bagarre, il lui avait confié, et Eli n'est pas du genre à trahir la confiance de quelqu'un. Elle sait que c'est sans nul doute l'objet le plus important qu'il a ici, tout comme elle avec son carnet de dessin. Alors oui, elle l'a toujours avec elle et il est peut-être temps qu'elle l'affronte de nouveau afin de lui rendre. Mais avant cela, elle cherche où il se trouve. Peut-être dans la cour ? Elle s'y rend lentement, le cherchant du regard, faisant tout le tour mais il n'est nul part. D'autres idées lui viennent en tête. Certainement la salle de musculation. Elle entre à l'intérieur mais ne voit que des hommes qui sont aux appareils et qui la regardent étrangement. Sans plus attendre, elle sort presque en courant, et bouscule un détenu, celui a qui elle a fait appel pour qu'il aide Laroy.

« Hey p'tite... Tu sais que toute cette histoire m'a conduit deux jours dans un cachot humide ? »
« Je suis désolée... » glisse Eli en baissant la tête.
« Ça va... On peut dire que t'es convaincante, les femmes obtiennent toujours ce qu'elles veulent, pas vrai ? »
« Hum.. Oui, certainement.. »
« En tous les cas, je sais pas pourquoi tu as voulu venir en aide à ce type, mais il a eu de la chance d'avoir un ange gardien à ses côtés ! »
« Oui enfin.. C'est pas vraiment grâce à moi... Mais bon, merci encore ! »
« De rien... Mais tu gardes le silence, compris ? »
« Je serais muette comme une tombe ! » termine la jeune femme en s'éclipsant.

Partant dans une autre direction, Eliaëlle retourne dans sa cellule et s'assoit sur son lit. Et maintenant ? Où peut-il bien être ? Elle n'a aucune idée de ses habitudes et encore moins les endroits où il pourrait se rendre en pleine journée. Soupirant, elle attrape son carnet à dessin, son crayon de bois ainsi que le ballon de Laroy. Elle finira peut-être par le croisé et de ce fait, elle pourra lui rendre. C'est en errant dans les couloirs qu'une idée lui vint. S'il n'est nul part, c'est certainement qu'il doit être dans sa propre cellule. Oui, mais est-elle réellement capable de s'y rendre ? Ça, c'est pas forcément simple. C'est en marchant tout doucement qu'elle se dirige vers sa cellule, elle ne sait pas encore si elle poursuivra sa route ou si elle fera demi tour en plein milieu. Mais, un jour ou l'autre elle sera face à lui, autant que ce soit maintenant plutôt que d'attendre éternellement. C'est avec le cœur qui bat rapidement qu'elle avance vers sa cellule, s'arrêtant juste devant, Laroy est là. Toussant doucement, elle se met à rougir en baissant les yeux.

« Salut... Hum... Désolée si je te dérange, mais je pensais que tu aurais envie d'avoir ça... » glisse-t-elle en relevant son visage, lui tendant son ballon d'une main, restant à l'extérieur de la cellule.

Durant ces cinq jours, Eliaëlle a eu le temps de réfléchir sérieusement. Non pas seulement en ce qui concerne son comportement, mais aussi les gens qui sont autour d'elle. Cette crainte qu'elle ressent envers eux n'est pas seulement à cause de sa timidité, mais c'est surtout le fait qu'il y ait des hommes. C'est certainement cela qui la bloque le plus. Encore, avec une femme, elle est capable de se détendre suffisamment pour entretenir une petite conversation. Mais lorsqu'il s'agit d'un homme, elle est toujours sur ses gardes. Elle préfère prendre la fuite, se mettre seule dans un coin et ne plus y penser. Mais elle restera méfiante, regardant toujours autour d'elle si il n'y a personne. Mais maintenant, elle se rend compte qu'ils ne sont pas tous ainsi. Qu'ils ne sont pas tous là pour faire du mal aux gens. Certains ne pensent qu'à sortir d'ici, ils ne feraient rien qui ajouterais plusieurs années à leur peines. Mais pour en venir à cette conclusion, il lui a fallu énormément de temps. Et ce n'est pas ça qui fera qu'elle sera bien plus à l'aise avec les autres. C'est une remise en question, un travail qu'elle doit faire sur elle-même. Un travail qui risque de prendre beaucoup de temps. Mais du temps, elle en a. Encore dix ans avant de sortir de cet endroit.

C'est peut-être aussi pour ça qu'elle mit de côté ses craintes aujourd'hui. Qu'elle oublia son attitude distante pour aller voir Laroy dans sa cellule. Certes, elle n'est pas entièrement à l'aise, elle ne sait pas exactement ce qu'elle va lui dire, si cela se passera aussi bien que la fois dernière. Mais au moins, elle y va, elle ne pense plus à rien. Il suffit simplement qu'elle fasse le vide dans sa tête, qu'elle se lance sans réfléchir. Si elle pense de trop, elle sait qu'elle ne le fera jamais. Et malgré tout, il lui a prouvé qu'il n'était pas un danger pour elle. Alors, c'est une manière de dire qu'elle a comprit, qu'elle sait qu'avec lui, elle ne craint absolument rien. Et bien qu'elle ne le dira pas à voix haute, le fait qu'elle aille jusqu'à sa cellule est une manière à elle de le dire. Comme toujours, il faut savoir déchiffrer son comportement, ses expressions, ce qu'elle exprime sans le dire concrètement.

Devant la cellule du jeune homme, Eliaëlle s'exprime d'une petite voix, presque hésitante, ce qui est le cas. Cette crainte qu'elle dérange toujours. Qu'elle puisse venir au mauvais moment. Depuis qu'elle sait qu'elle n'est qu'une « erreur », elle a peur d'être un poids pour les autres personnes. Ce qui explique aussi son comportement distant, le fait qu'elle soit aussi discrète en toutes circonstances. Mais les gens ne savent pas, alors ils s'imaginent mille et un scénarios qui n'ont absolument aucun rapport avec Eli, ils se font une mauvaise image d'elle. Mais elle ne dira rien, les gens peuvent bien penser ce qu'ils veulent. Cela n'a aucune importance pour elle, ce n'est pas comme si ils étaient proches et qu'ils savaient ce qu'elle cache au plus profond d'elle-même. Cette souffrance qui lui fait un peu plus mal chaque jour.

« Rien n'est impossible... Ce sont les surprises de la vie... » dit Eli en réponse à la remarque du jeune homme, souriant très légèrement. Même elle ne se pensait pas capable d'oser venir ici. Alors effectivement, c'est une très grande surprise.

Lorsqu'il l'invita à entrer, Eli releva son visage vers Laroy, le regardant avant qu'il ne mette un peu d'ordre dans sa cellule. Elle eut un petit rire en le regardant faire. Inutile de dire que pour que tout soit rangé correctement dans une petite cellule, ce n'est pas une tâche facile à accomplir. Bien que la jeune femme parvient toujours à tout mettre en ordre puisqu'elle est parfois maniaque sur les bords. Alors si un truc n'est pas à sa place, cela ne lui convient pas. Mais elle a aussi conscience que tout le monde ne fonctionne pas de la même manière qu'elle, et un désordre dans une cellule autre que la sienne ne la dérange pas. Entrant lentement dans la pièce, elle sert son carnet à dessin contre elle.

« Ça va... Ce n'est pas comme si je m'attendais à un trois étoiles... » glisse-t-elle en souriant légèrement. Certainement la première fois qu'elle met une petite pointe d'humour dans l'une de ses phrases. Relevant à nouveau son visage vers Laroy, elle le regarde quelques secondes avant d'incliner légèrement la tête. « Apparemment, ils ne t'ont pas trop amochés durant la bagarre... C'est une chance. » ajoute la jeune femme en affichant un mince sourire.

Les souvenirs prennent moins de place. Du moins, en ce qui concerne Laroy. Avant, lorsqu'elle le voyait, une autre image venait se mettre au dessus de la sienne. Un visage qu'elle ne voulait absolument plus revoir. Plus jamais. Son seul objectif était de le voir le moins possible, faisant comme si le jeune homme était un vieux démon, un fantôme du passé. Et elle se disait que le fait de le voir le moins possible l'aiderait à oublier. Mais ce n'était pas le cas. Dans le fond, bien qu'elle n'en disait rien, bien qu'elle ne faisait aucun effort, elle prenait lentement conscience que Laroy n'était pas comme l'autre type. Elle en a eu la preuve. Il est certainement l'une des seules personnes à avoir fait l'effort de venir vers elle, de lui adresser la parole. Le seul qui n'a pas prit la fuite lorsqu'il a vu qu'elle ne dirait rien. Il est certain que cela a jouer en sa faveur, et lentement, elle réalisait qu'elle ne devait pas mettre la faute sur lui. Qu'il n'avait aucun rapport avec ce footballer qui lui avait voler son innocence avec son meilleur pote. Non, définitivement, Laroy est loin d'être ainsi.

Alors maintenant, elle fait un effort. Parler, sourire, venir le voir d'elle-même sans que ce soit lui qui fasse toujours le premier pas. Pour Eliaëlle, c'est toujours un combat. Une lutte qu'elle tente de gagner depuis des années. Peut-être y arrivera-t-elle un jour. Peut-être ici, dans cette prison, bien qu'à priori, ce n'était pas le lieu le plus approprié pour cela. D'ailleurs, malgré ce qu'elle a fait, jamais ils n'auraient du la mettre ici, bien trop dangereux. Elle, elle est bien trop fragile parmi tous ces criminels. Mais elle reste discrète, c'est ce qu'elle fait de mieux en ce monde. Et puis, cela lui sert dans de rares occasions. Elle observe, écoute et grâce à cela, elle parvient à obtenir certaines choses quand c'est utile. Puisque jamais elle ne ferait ça pour de l'amusement. Ce n'est pas son genre. Mais pendant cette bagarre où Laroy fut seul contre quatre mecs, c'était une chose très utile que de connaître certains secrets.

Aux paroles du jeune homme, Eli fut surprise. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il sache que cette aide venait d'elle. Certainement que l'un des types a du lui dire. Elle eut un petit sourire en regardant Laroy, secouant doucement la tête. Non, elle ne les connait pas. Elle ne sait rien d'eux, mis à part le fait du pourquoi ils sont là, et quelques secrets qu'elle a entendue ici et là. Mais en dehors de toutes ces choses, jamais elle n'a eu une conversation avec eux. Ce ne sont même pas des amis, ni des connaissances. Juste des gars qui ont acceptés de lui prêter main forte en allant aider Laroy. Rien de plus. Et maintenant, elle sait qu'elle ne pourra plus rien demander à ces types là. Un service contre un autre. Elle garde le silence sur ce qu'ils font et elle ne demande plus rien.

« Si je les connais ? Tu m'imagines être amis avec des gars comme eux ? » demande-t-elle dans un petit rire. « Et de rien... Je n'aime pas quand ce n'est pas loyal.. Et là, quatre types contre un, je me suis dis qu'il te fallait un peu de renfort. » ajoute Eli en conservant son petit sourire.

Bien qu'elle ne doute pas qu'il puisse être capable de se battre convenablement contre deux types, mais là, c'était beaucoup trop pour un seul homme. Peut-être aussi une façon à elle d'envoyer un message, si elle se fichait de lui et des « intentions » qu'il lui portent, elle n'aurait pas réagit. Elle aurait laisser les types lui faire sa fête, et fin de l'histoire. Mais là, c'est tout le contraire. Une manière de dire qu'elle ne le hait pas, qu'elle n'a vraiment rien contre lui et que la situation se débloque. Même plus rapidement que ce qu'elle aurait imaginer. Il y encore une semaine, jamais elle ne serait venue dans la cellule de Laroy, elle n'y serait même pas entrée. Mais là, tout change.

Lorsqu'il l'invita à s'assoir, Eli regarde quelques secondes autour d'elle avant de s'assoir sur le bord du lit, posant son carnet de croquis sur ses genoux. Arquant légèrement un sourcil à la suite de ses paroles, elle le regarde chercher quelque chose sans comprendre. Avec tous les évènements, elle en avait complètement oublier cette histoire de fusain. Elle prit le tissu que Laroy lui tendit, l'ouvrant doucement et découvrit les morceaux de fusain. Ses yeux s'illuminèrent soudainement, et un grand sourire étira ses lèvres. Cela pourrait paraître étrange, mais cet outil de dessin est très important pour elle. Le dessin étant sa plus grande passion, elle sait qu'elle pourra faire d'autres choses beaucoup plus jolis qu'à l'aide d'un crayon de bois. Tournant son visage vers le jeune homme, elle sourit davantage encore.

« Merci beaucoup... C'est absolument parfait... Exactement ce que je voulais. » dit-elle en ancrant son regard dans le sien, détournant ensuite les yeux, encore trop peu à l'aise pour soutenir le regard de quelqu'un.

Posant le fusain à côté d'elle, Eli ouvre ensuite son carnet de croquis, prenant la feuille volante, son dernier dessin en date. Celui qu'elle a fait durant ces cinq derniers jours, l'achevant seulement la veille au soir. Il est représentatif de leur dernière rencontre. Eliaëlle assise sur le sol, dos contre le mur, lisant un livre, l'air assez concentrée. Laroy à côté d'elle, regardant au loin, son ballon dans les mains. Si il y avait la couleur, on aurait dit une photographie. Elle tendit le dessin au jeune homme, s'empourprant légèrement. « Puisque nous avons eu un nouveau départ... Je me suis dis que tu voudrais peut-être l'avoir... C'est comme un symbole... » dit-elle en souriant légèrement.